Lettre à un Ministre qui voudrait réformer le lycée…

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Monsieur le Ministre,

 

J’ai le moral à sec. Non, n’allez pas croire que mes élèves sont mauvais, désagréables, insupportables, insolents… Non. Je dois l’avouer, si certains de mes collègues travaillent parfois dans des conditions pénibles, j’ai la chance, pour ce qui me concerne, de travailler avec des jeunes gens charmants dont la curiosité et l’envie de réussir est souvent stimulante. Ne mentons pas… pas d’angélisme non plus. Le cours de 16h à 18h est parfois difficile parce que tout le monde est fatigué. Parfois, ça bavarde un peu et je suis bien conscient que pour que tout le monde raccroche le wagon, il faut quelques minutes de détente. Rigolade, anecdote, bref, j’essaie par tous les subterfuges de remobiliser l’attention… Et finalement, si j’éprouve pas mal de sympathie pour ces élèves, ils me le rendent bien, me manifestant souvent de la reconnaissance et même de l’amitié.

 

Alors pourquoi le moral à sec ?

 

Ben voilà. Nous héritons et sommes tous prisonniers d’une vieille pratique qui date d’un autre temps et qui n’avait qu’un seul but, classer les élèves, comme si la concurrence avait des vertus pédagogiques. Nous héritons d’une vieille pratique élitiste qui, selon bon nombre de chercheurs sérieux, n’a d’effet positif ni sur les meilleurs, ni sur les moins bons. Nous héritons d’une vieille pratique qui n’est ni juste, ni efficace. Cette vieille pratique est subjective, arbitraire, aléatoire.

 

Noter. Quelle chose monstrueuse ! Noter ce n’est pas évaluer, noter c’est classer, ordonner, éliminer. Or cette notation, à laquelle je me plie depuis 15 ans, me devient insupportable.

Je m’explique. Imaginons que des élèves passent 3 heures à travailler. Ils ont été encadrés, accompagnés par des professeurs. Pendant 3 heures, ils se sont donnés sérieusement, ont fait des efforts, ont appris, expérimenté… et je dois noter le résultat de cet effort. Bien entendu, il peut être encore médiocre, il peut rester un écart conséquent entre ce qu’on pourrait attendre dans l’absolu et le travail réalisé… mais chacun le sait : une formation demande du temps et quoi de plus normal que l’objectif final ne soit pas encore atteint.

De la même façon. Des élèves préparent le bac. Je leur donne des exercices difficiles qu’ils réalisent chez eux et… bien entendu, malgré leurs efforts, leur sérieux, le temps qu’ils y ont passé, ils ne réussissent pas toujours.

Alors, noter pour quoi faire ? L’enseignant forme et par la note, il sanctionne quelqu’un qui n’est pas arrivé au bout du chemin.

 

Pire, la notation est une double sanction. Celui qui a réussi a le double plaisir de voir son travail satisfaire aux exigences attendues et de recevoir une bonne note… mais celui qui a une mauvaise note ? Déçu de voir le long chemin qu’il lui reste à faire et qu’il ne parvient pas à réaliser, il reçoit en plus la sanction négative de la note.

 

On pourrait aller plus loin : parler de la dimension sociale de la note, de son contenu implicite, du prof qui règle ses comptes avec la jeune génération qu’il juge bien en deçà d’une hauteur qu’il n’a peut-être lui-même jamais atteinte, de la sanction de l’expression tellement déterminée par le milieu social ou des obsessions des enseignants qui voient dans certains éléments des incontournables que leur collègue d’à côté peut considérer comme secondaire. Comment ne pas parler, également, de la note comme outil de gestion de la classe, visant à récompenser le gentil, punir le rebelle, comme si l’évaluation de la performance avait à voir avec l’aptitude à se conformer à une autorité. Comment ne pas évoquer le non sens de la note : qu’est-ce qui justifie un 17 plutôt qu’un 18 ? Un 5 plutôt qu’un 6 ? Un 10 plutôt qu’un 9 ?

 

Et le mauvais qui ne travaille pas ? Il peut se déculpabiliser, il a payé sa dette, il a eu une mauvaise note ! Il assume ! Il a le droit, en quelque sorte, de ne rien faire puisqu’il "paye la note" par un 2 ou un 3 !

 

Comble du sort. On sait aujourd’hui que des pays qui ne font pas redoubler, ne notent pas – si ce n’est pas des systèmes de lettres très larges – ont des élèves qui réussissent bien mieux que les nôtres… et quand on compare les compétences de leurs élèves aux nôtres, ça ne fait pas de doute : les leurs sont sensiblement meilleurs.

 

Comme le pensait mon vieil instituteur qui restera mon Maître à penser, un examen doit être une formalité. Pourquoi ? Parce qu’il y a une malhonnêteté profonde à envoyer un candidat à un examen pour lequel il n’est pas prêt. Et la note ne prépare pas : elle sanctionne avant l’heure. C’est très malhonnête ! Pas étonnant que des élèves très intelligents refusent le système et deviennent cancres !

 

J’ai donc, Monsieur le Ministre, la ferme intention de ne plus mettre de notes. Bien entendu je ferai des évaluations en disant que c’est bien, très bien ou insuffisant. J’évaluerai, dans la mesure de mon possible des compétences (écrire, argumenter, organiser ses idées, etc.)… et même, en tant que fonctionnaire devant me plier au système, je mettrai une note finale résumant grosso modo le niveau de mes élèves. Mais en supprimant ce fonctionnement archaïque qui date d’une autre époque, vous me soulageriez d’un poids énorme que je trouve de plus en plus pesant.

Publié dans chgobbe

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C
<br /> Voir ici ma modeste contribution à la question... http://chgobbe.over-blog.com/article-19403614.html<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Avez-vous osé lui envoyer un courriel ? Faut pas rêver, ni lui ni ses services ne s'amusent à lire vos billets... votre coup de geule ne sert donc à rien.<br /> <br /> L'ancien ministre avait déjà souligné le défaut des notations qui utilisent les décimales : un devoir noté 12,5 ou une moyenne de 10,1 est-ce que cela a un sens ? Il préconisait d'arrondir les<br /> notes pour rendre plus lisible le bulletin. Le faites-vous ? Il faudrait commencer par ça.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Wahoo!! J'adore l'article<br /> Je vous rassure vous n'êtes pas le seul à avoir le moral à zéro. En effet, que serait des cours, (peu importe la matiére) ou un élève peu rester attentif pendant tout le cours. La réponse est<br /> simple et assez courte: PERSONNE! Votre méthode fonctionne réelement, les dix premiéres minutes le cours sera toujours plus ou moins bassé sur de l'économie mais il y'aura de la rigolade des<br /> anectodes.... qui font que le reste du cours les éléves restent attentifs.<br /> Cette vieille pratique comme vous dîtes n'a aucun effet positif. Oui nous sommes tous contents de voir la super note et la super appréciation du prof lorsque nous avons passé du temps à<br /> réviser. Je me prend comme exemple, je révise mon contrôle math sur une semaine avec des amies au CDI pendant nos heures d'etudes, les éxos sont refait sans difficultés mais arrivé devant la<br /> copie le stress totale de se "planter", Une semaine plutard le prof nous rend le contrôle persuader qu'on auraient une bonne note on voit o stylo rouge 2/20 ou encore mieu 6.5/20 ou alors 8/20 !!<br /> mais pourquoi on avaient travaillé??Or contrôle on auraient su les faire. On voulait tous avoir une bonne note, qui d'entre nous arrivé à se stade ne veux pas réussir ?<br /> F.W TAYLOR a "instauré" la tyranie du chronométre, l'éducation nationale elle, a "instauré" la tyranie de la bonne note pour que les éleves réusissent, or la réussite des élèves d'autres pays qui<br /> eux n'ont pas la "tyranie de la bonne note" et ne font redoubler personnes ont un meilleur niveau scolaire que les éleves français. Alors monsieur le ministre ne serait-il pas temps de remettre<br /> en cause cette vieille pratique? Et d'enfin reformer le lycée du bon côté?<br /> <br /> <br /> P.S: Mr GOBBE j'en déduis que le contrôle de vendredi sur les statistiques ne sera pas noté ce qui d'ailleur nous soulagerez tous.<br /> <br /> <br /> <br />
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